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Traces des jours, sûtras du temps : un regard sur l’œuvre de Shi Qi
Écoutez : quand on plie et déplie le temps, il se froisse, son recto et son verso se frottent comme papier, comme écorce, comme membrane, comme peau. Pourquoi plier et déplier le temps ? Grâce au geste de Shi Qi il s’incarne, il expose ses différentes épaisseurs, ses différentes étendues, selon les variations que lui suggèrent les événements du cœur. Cela fait ce bruit vivant de l’art.
Écoutez : vous êtes dans le murmure du visible.
Devinez : feuilles de livres, feuilles des pages. Couches de lignes, couches de l’encre. Récit des âges, langage votif. Qu’y a-t-il au creux du pli, là où tout se touche ? Quels arcanes à demi enfouis émergent sur la tranche ? Se serrer, est-ce se cacher ? Empilement, tassement, comme si le temps avait infiniment à nous dire. Mais aussi, toujours possible, ce mouvement d’éventail tantôt esquissé, tantôt imaginé, qui ouvrirait : les mots ont à faire avec le vent, comme s’ils n’étaient là que pour être oubliés.
Devinez : vous êtes dans le dessin du secret.
Respirez : le temps se resserre, se dilate. En sa figure minérale on lit des strates géologiques, verticales, comme orgues de basalte, il vient de la genèse du monde. En sa figure végétale on lit des cercles concentriques, horizontaux, comme orbes d’aubier, il va grandissant vers demain. Parfois cela dialogue : deux toiles presque jumelles placées en vis-à-vis, formes doubles alors qui se répondent, le vide qui parait les séparer alimente leur plein, leur plein célèbre le vide qui en fait les relie. La courbe de l’une cultive la mémoire de l’autre.
Respirez : vous êtes dans l’image du macrocosme.
Éveillez-vous : les traces pèsent, elles ont la noirceur de certains souvenirs, leurs figures sont autant de cicatrices. Le mouvement du temps serait-il le véhicule de la douleur plutôt que son baume ? Non. Dans les œuvres les plus récentes, on ouvre les yeux sur des strates encore, mais cette fois toutes de blancheur, des volets plutôt, des volets de papier nuage, si légers, si légers, comme plumes qu’un souffle ferait vibrer, persiennes d’air ou ailes d’ange, même si subsistent quelques empreintes colorées, traits de rouge notamment, que soulignent et rachètent tant de clarté.
Éveillez-vous : vous êtes dans l’absolue présence de la matière.
Patricia Castex Menier. 2025